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Examen approfondi de l’AIE: Zoom sur la politique énergétique de la Turquie


En avril 2025, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) a conduit une nouvelle revue approfondie (In-Depth Review) de la politique énergétique de la Turquie, à laquelle Frédéric Maurer, spécialiste en efficacité énergétique à l’Office fédérale de l’énergie (OFEN) a pu participer. Ce processus, conduit en collaboration avec les autorités turques, offre un instantané stratégique de la trajectoire énergétique d’un pays ayant l’ambition de devenir un hub énergétique régional et situé à la croisée des chemins entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient.Dans un contexte géopolitique tendu et une économie en mutation, la Turquie a formalisé son ambition de parvenir à la neutralité carbone d’ici 2053. Ce cap ambitieux soulève plusieurs enjeux structurels que la revue a permis de mieux cerner.

Trois piliers, une ambition

La stratégie énergétique turque repose aujourd’hui sur trois piliers clairement affirmés :

  1. La réduction de la dépendance aux importations d’énergie,
  2. L’atteinte de la neutralité carbone en 2053,
  3. La réponse à une demande énergétique en forte croissance.

Ces trois objectifs, parfaitement cohérents entre eux sur le papier, posent dans les faits un redoutable problème d’équilibre : comment concilier sécurité énergétique, compétitivité économique et décarbonation, sans sacrifier l’un au profit des autres ? La Turquie est aujourd’hui engagée dans une transformation profonde de son mix énergétique, tout en préservant son attractivité industrielle et son indépendance stratégique.

Des avancées majeures… mais des défis systémiques

Les progrès réalisés ces vingt dernières années sont réels. Le développement massif des énergies renouvelables, notamment hydroélectriques, solaires et éoliennes, a permis de diversifier le bouquet énergétique. L’entrée en service du premier réacteur nucléaire à Akkuyu prévue fin 2025, marque également un tournant vers une base de production bas-carbone.

Mais le défi reste immense. L’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique crée des rampes de puissance journalière de l’ordre 20-40GW. Le charbon continue d’occuper une place importante dans la génération d’électricité. Et si des fermetures sont prévues à moyen terme, elles devront s’inscrire dans une logique de stabilité du réseau et de protection sociale pour les communautés locales. Cette trajectoire devra s’inscrire dans une transition énergétique juste, un principe désormais central dans les débats internationaux sur le climat. Il s’agit d’anticiper les impacts sociaux des fermetures de centrales à charbon, en particulier pour les régions et les communautés fortement dépendantes de cette activité. Cela suppose une planification inclusive, un dialogue social structuré, et des mesures d’accompagnement concrètes : reconversion des sites, formation des travailleurs, et développement d’alternatives économiques viables à l’échelle locale.

Le rôle du gaz naturel, en particulier, reste stratégique. Il assure aujourd’hui un appoint flexible au système et constitue une solution transitoire pour réduire les émissions issues du charbon. Il sert aussi de combustible favori aux chauffages des bâtiments ainsi que pour l’industrie turque. Mais il soulève des interrogations à long terme, notamment en lien avec la dépendance importatrice et la compatibilité avec les objectifs climatiques dans un contexte où la Turquie cherche à exploiter ces gisements gaziers nationaux.

Une gouvernance de marché en plein déploiement

La Turquie affirme son attachement à un marché de l’électricité et du gaz structuré autour des parties prenantes — régulateurs, opérateurs de réseau, producteurs, consommateurs industriels. Cette approche “multi-acteurs” constitue un acquis précieux. Le rôle central du gestionnaire de réseau de transport (TE?A?) a été souligné à plusieurs reprises.

Un dialogue constructif et des marges de manœuvre

Tout au long de la mission, les échanges avec les autorités turques ont été ouverts et constructifs. L’écoute attentive portée aux recommandations — et les retours détaillés attendus sur le rapport — témoignent d’une réelle volonté de progresser dans le respect du cadre stratégique national. La Turquie dispose aujourd’hui d’atouts importants pour réussir sa transition : un potentiel renouvelable conséquent, des infrastructures modernes, une culture industrielle dynamique. Mais elle devra composer avec des contraintes fortes — à commencer par la stabilité macroéconomique et les tensions géopolitiques régionales.

Conclusion

La trajectoire énergétique turque illustre bien les dilemmes contemporains des économies émergentes à ambition climatique. À l’horizon 2053, le défi n’est pas seulement technique : il est politique, social et industriel. L’IEA continuera à accompagner la Turquie dans ce processus exigeant, en s’appuyant sur le dialogue, la transparence et l’excellence analytique.

Frédéric Maurer, spécialiste efficacité énergétique, Office fédérale de l’énergie (OFEN)

 

 

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